À VOUS LA PAROLE / Tout le monde me disait que ce serait les meilleures années de ma vie. J’ai 18 ans, je termine mes études collégiales et le monde qui m’entoure semble se désintégrer. Pourtant, je n’ai pas contracté la COVID-19, j’ai un emploi, et je me considère comme une personne privilégiée par la vie.
Mais voilà que toute mon expérience collégiale est une salle de vidéoconférence avec des écrans éteints. À ce jour, je n’ai rencontré qu’un seul de mes professeurs en personne. Et cette rencontre s’est faite dans le cadre du seul cours en présentiel que j’ai eu. Quelques-uns de mes collègues de classe ont eu la chance de se rencontrer une fois dans un parc de la ville, «socialement distanciés» bien évidemment. C’était étrange. Alors que j’approche la fin de mon programme, je n’ai encore jamais mis les pieds dans le gymnase ou un pub du campus, tout comme je n’ai toujours pas adhéré à un club social ou même pu bénéficier d’un des services offerts sur le campus.
Et ça, c’est censé être la définition même des meilleures années de ma vie?
Je suis en deuxième année d’études en travail social. J’ai beaucoup appris sur la santé mentale, mais je suis toujours surpris par les chiffres liés à la santé mentale chez les hommes. Le problème est important et la stigmatisation demeure forte. Nous avons de bonnes discussions à avoir.
La santé mentale des hommes est une épidémie silencieuse et mortelle en soi. Et elle s’est aggravée depuis que la planète entière fait face à cette pandémie qui nous a fait perdre ce contact si précieux avec les autres en raison des masques, des écrans Zoom noirs et de l’absence de cette chaleur humaine qui nous est si chère.
Si on examine les chiffres d’avant la pandémie, les hommes représentaient 75% des suicides au Canada. Les suicides chez les hommes autochtones représentent le double de la moyenne nationale. Un million d’hommes canadiens souffrent de dépression majeure chaque année, et les hommes homosexuels ont des taux plus élevés de dépression, de suicide et de toxicomanie que les hommes hétérosexuels.
Alors pourquoi la santé mentale des hommes est-elle toujours aussi taboue?
Il y a tellement de honte autour de la question. Nous souffrons en silence. Nous ne demandons pas d’aide – même pas à ceux et celles qui sont proches de nous : nos amis, notre famille. Dès notre plus jeune âge, on nous dit que partager ses émotions c’est pour les faibles. Pour les hommes, être vulnérable n’est pas une option.
Cela conduit à une masculinité toxique. Cela conduit à la colère, aux émotions incontrôlées et à la dépression. Cela conduit à la dépendance à l’alcool, aux drogues et aux jeux vidéo. Nous le voyons dans les refuges pour sans-abri, les centres pour jeunes et les prisons. Nous le voyons même dans nos maisons, dans les files d’attente dans les centres commerciaux et dans les rues de la ville.
Beaucoup d’hommes sont sur le bord du précipice.
La pandémie amplifie cet état. Un sondage réalisé par Movember au début de la pandémie montre que 57% des hommes de plus de 45 ans et 45% des hommes âgés de 18 à 24 ans se sentaient moins connectés à leurs amis depuis le début de la COVID-19. Ces chiffres sont probablement beaucoup plus élevés maintenant. La même enquête montre que les hommes craignent de perdre leur emploi ou des possibilités d’avancement professionnel s’ils partagent leurs problèmes de santé mentale au travail.
Alors, en buvant votre lait de poule autour du sapin cette année, allez au-delà des discussions traditionnelles des Fêtes. L’amitié joue un rôle salvateur pour la santé mentale des hommes. Essayez d’en apprendre davantage à ce sujet. Et surtout, tendez l’oreille et la main aux hommes de votre vie.
Agissez, écoutez et soutenez. Ne faites pas de blagues à ce sujet, et surtout ne jugez pas. Sachez que beaucoup d’hommes autour de vous souffrent en silence. Eux aussi ont besoin de parler et de partager. Dans certains cas, leur vie en dépend.
Zacharie Poulin, Chelsea